ACCUEIL

AUTEURS

TITRES

COMMANDE [PDF]

CONTACT

TEXTES

LIENS

JEAN KLEIN

OUVERT
À
L’INCONNU

Traduction et présentation d’Aline Frati

 

OUVERT À L’INCONNU /Jean Klein

Nous sommes réunis pour trouver ce que nous voulons dire par vérité ou notre vraie nature, notre globalité.
Cette interrogation fait appel à une certaine qualité d'attention, une attention libre de toute attente.
Cela est vraiment un état de non-savoir où nous sommes tout simplement ouverts.
Il devrait aussi être clair que ce que nous cherchons, nous le sommes déjà.
Cela est complètement sans objet.
La vérité ne peut être connue par le mental et demande un mode de perception  autre que celui que le mental utilise.
Ce n'est pas une perception fonctionnelle qui est dans la dualité «Je perçois cela» mais c’est être la perception, où il n’y a que percevoir sans quelqu’un qui perçoit  ni d’objet perçu. En d’autres termes, nous sommes le «percipient».
Tout ce qui peut être obtenu, perçu, pensé, est un objet, mais nous sommes le sujet de tous les objets.
Ainsi, si nous restons dans un état pour essayer d’atteindre la compréhension, nous allons seulement trouver un objet et non la vérité sans objet. Il se peut que cet objet soit un état subtil, mais ce que nous sommes fondamentalement n’est pas un état. En essayant d’obtenir ce que nous sommes, nous nous éloignons de nous-mêmes.
Quand cela est compris, le mental est automatiquement amené à un arrêt, où toute l’énergie utilisée dans les projections et dans le devenir n’est plus dirigée, et nous nous trouvons dans une ouverture sans direction, dans une attente sans attente. Cela est vraiment l’état de détente le plus profond du corps et du mental.
Nous sommes simplement ouverts, ouverts à tous les possibles, ouverts à l’inconnu. Nous ne pouvons jamais aller vers cela, parce qu’il n’y a personne pour y aller et nulle part où aller. Nous ne pouvons jamais le saisir mais uniquement être saisis. Nous devons seulement le permettre.
                Nous sommes habitués à utiliser le mental pour la compréhension; celui-ci doit aller jusqu’au bout de lui-même, jusqu’à ce qu’il arrive à sa fin, jusqu’à ce qu’il arrive au point d’être complètement épuisé. En d’autres termes, le mental doit connaître ses limites. Cela engendre un état de détente absolu. Les fonctions du mental s’exercent dans l’espace et le temps, mais ce que nous sommes profondément est en dehors du temps.
Ainsi le temps, le mental, ne peuvent jamais comprendre ce qui est au-delà du temps. Quand le mental arrive à son terme, nous sommes au seuil de notre vraie nature. Ce seuil est une sensation globale, libre de toute conceptualisation.
 L’important est que, lorsque nous disons: «J’ai compris» nous ressentions comment la compréhension a agi sur nous. La compréhension intellectuelle se dissout dans le silence, et ce silence est notre être réel. Nous pouvons avoir une compréhension géométrique claire dans notre esprit, mais cette compréhension est encore objective; la compréhension géométrique doit complètement se dissoudre en «être compréhension», qui est une sensation globale. C’est vraiment de cette sensation globale dont il est question quand nous parlons d’être la compréhension.
                            Avez-vous quelque chose à dire à ce sujet?

Vous avez dit que quand le mental voit ses limites, il arrête de vouloir saisir ce qu’il sait maintenant être au-delà de lui, et l’énergie n’est plus dirigée vers l’extérieur. Qu’arrive-t-il alors à cette énergie?
Où va-t-elle? Comment ce nouveau déploiement affecte-t-il le corps physique? Autrement dit, où précisément se trouve cette énergie dans l’état «d’attente sans attente»?

Quand il n’y a pas de pensées, l’énergie n’est pas dirigée et retourne à sa globalité. Le corps physique est détendu, et dans cette détente il n’y a plus de prise pour les anciens schémas.

Quand nous sommes pris par ce que nous sommes, quel rôle joue
l’énergie?

L’énergie suit «le mental pensant». C’est le mental qui dirige l’énergie. Quand il est en arrêt et que le corps est détendu, l’énergie n’est pas gaspillée. Mais elle est contenue et à notre disposition.

Qu’entendez-vous exactement par compréhension géométrique?
 
C’est la clarté du mental qui est concernée par la vérité; la perspective claire que la vérité ne peut être objectivée.

Vous voulez dire par compréhension géométrique que nous voyons les faits de la réalité, c’est-à-dire que la vérité est au-delà du mental, qu’un objet existe seulement dans la conscience, que la vérité peut seulement être connue par la vérité, et, connaissant ces faits, nous sommes amenés à une sorte d’humilité, d’ouverture, à un pressentiment de la vérité même?

Oui, tout ce que nous pouvons appeler smrti, vérité, appartient à une claire représentation. L’ouverture qui vient d’une claire compréhension est comme un rideau qui s’ouvre, et en un certain point il y a la vision instantanée, l’aperçu, qui est «être compréhension». La compréhension géométrique est une logique supérieure. Une logique qui ne se réfère pas aux objets mais au sujet ultime.

Vous avez dit qu’il est fort rare pour le mental d’arriver à cette clarté géométrique. Cela est-il ainsi parce que seulement peu d’esprits ont la capacité pour l’avoir? Quelles sont les capacités nécessaires pour avoir cette clarté?

La clarté géométrique vient quand il y a un aperçu de la vérité. Potentiellement, chacun peut avoir cet aperçu. Tout ce qui est demandé, c’est d’avoir un mental clair. Par mental clair, je veux dire un mental qui est complètement libre de toute attente et anticipation. Le mental doit être ouvert.

Donc il faut vivre la vérité afin d’avoir un mental clair?

Oui. La claire vision que la vérité n’est pas un objet perçu doit être là.

Quand on a une perspective claire de la vérité, quelle est l’étape suivante pour  qu’elle devienne la compréhension définitive?

Vous devez suivre la compréhension et vivre avec. Alors vous verrez que chaque objet est relié à la vérité, qu’il a sa potentialité dans la vérité, dans la conscience. Rappelez-vous qu’elles étaient les circonstances qui vous ont amené à cette intuition. C’étaient peut-être les paroles du maître, mais c’était peut-être aussi quelque événement de la nature, comme avec Tchouang-Tseu ou le Bouddha, par exemple. Ainsi ne cherchez pas à vous remémorer ou à revivre cette intuition elle-même, mais voyez à nouveau les circonstances qui l’ont amenée; ressentez comment cela a agi en vous, quel a été son impact physique, et vivez avec.

La compréhension géométrique est-elle nécessaire pour la vision instantanée?

Dans de rares cas, ce n’est pas nécessaire, mais important, parce que cela donne un support à la vision instantanée. La vision instantanée basée sur la sensation est incertaine. Il y a des risques de confusion. L’expérience et le raisonnement devraient être concomitants.

Qu’est-ce qui amène le mental à la clarté, à être capable d’avoir une relation claire avec la vérité?

Qui est en premier, la force conductrice ou la discrimination? C’est la force conductrice qui amène le mental à discriminer. En d’autres termes, le senti est avant le raisonnement.

Qu’est-ce qui est senti? Qu’est-ce que la force conductrice?

La sensation globale, la sensation d’être en expansion, d’être libre des objets, des attachements, une sensation d’autonomie.

Et comment la force conductrice conduit le mental au discernement?

Parce que, comme nous l’avons dit, la sensation globale est le pressentiment de la vérité, et cet avant-goût stimule le mental à fonctionner à un niveau plus élevé. Cela amène le mental à se libérer de l’identification de la vérité avec les objets. Alors celui-ci peut aller jusqu’à son terme. Le mental est une voiture, et l’essence est la sensation, la force conductrice.

Quelle sorte de sensation est la sensation globale?

C’est une sensation sans quelqu’un qui ressent. Ce n’est pas une relation de sujet à objet. Voyez-vous ce que je veux dire?

Comment puis-je arriver à cette sensation globale?

D’abord, vous pouvez ressentir comme un manque en vous. Percevez cette sensation de vivre comme une fraction, acceptez-la, laissez-la devenir complètement sensation. En l’acceptant sans la fuir et sans la diriger, vous y êtes totalement ouvert. Cette acceptation, et l’ouverture qui en résulte, est une aperception instantanée de cette sensation globale. C’est un pressentiment de ce que vous êtes fondamentalement. Donnez-vous complètement à ce pressentiment.
Par cela je veux dire, suivez-le jusqu’à sa source comme une ombre qui vous conduit à son arbre.
Dans le même sens, quand l’admirateur se donne complètement à ce qu’il admire, il y a un moment où il se sent perdu dans l’admiré, là où il n’y a plus ni admirateur et ni rien à admirer, il y a seulement l’être. Mais cette sensation globale doit aussi s’effectuer en parallèle au niveau du mental. Le mental doit savoir ce qu’il n’est pas C’est-à-dire que celui-ci doit être conscient de la perspective, la perspective qui va au-delà de lui-même. C’est seulement quand il est informé de ce que nous ne sommes pas – le corps, les sens et le mental – que nous pouvons parler d’une véritable compréhension intégrée.

Si je vous comprends bien, au moins intellectuellement, nous sommes cette conscience, mais j’aimerais savoir si la réalité existe sans la vie. Si je voulais émettre l’hypothèse d’un monde sans vie, sans l’humanité, y aurait-il une réalité?

Vous êtes l’intemporel quand vous comprenez vraiment ce qu’est le temps.
Le «mental pensant» est le temps. Tout ce qui se succède crée le temps. Cette succession, le temps, est dans l’intemporel. C’est parce que vous êtes dans l’intemporel que vous pouvez concevoir le temps. Vous ne pouvez jamais percevoir l’intemporel parce que ce n’est pas un objet. Vous pouvez seulement l’être. C’est votre globalité. Cela ne peut jamais être connu, parce qu’il n’y a plus de connaisseur. Si on pouvait l’objectiver ce ne serait plus la globalité. Ma réponse est un peu indirecte.

 Excusez-moi d’insister, mais j’essaie de comprendre tout de même, peut-il y avoir une réalité sans la vie, sans quelqu’un pour en être conscient?

Vous utilisez les mots «réalité», «vie», «conscient», avec beaucoup de légèreté. Soyez clair avec ce qu’est la vie, sur ce qu’est la conscience et sur ce qu’est une expression de la conscience. Les expressions de la conscience existent, elles sont perçues dans la conscience, mais la conscience n’est pas dans ce perçu. La vie, la conscience, la réalité sont autonomes. Cela veut dire qu’elles n’ont pas besoin d’un connaisseur pour être connues. La vie, la conscience, la réalité sont elles-mêmes connaissance. Il n’y a pas deux, il n’y a que l’Un. Il n’y a pas quelqu’un qui perçoit et quelque chose de perçu. Il n’y a pas quelqu’un qui agit et quelque chose à faire. Vous n’êtes nulle part. Vous n’êtes rien. Le mental est simplement un véhicule qui apparaît dans la conscience.
                 Vous connaissez des moments dans la vie quotidienne où vous êtes complètement absent en tant que personne. Vous ne pouvez jamais penser l’absence, vous êtes juste absent. Quand vous vous prenez pour quelqu’un, vous faites de vous-même un objet, et dans le quotidien vous avez une relation d’objet à objet. Alors vous occupez une fraction de vous-même, et une fraction ne peut voir qu’une fraction.
Voir une fraction peut uniquement apporter une réaction, et la réaction ne peut que créer le conflit. Mais quand vous êtes libre de vous-même, libre de l’idée d’être quelqu’un, dans cette absence de vous-même, vous êtes vraiment la présence, la présence globale. Alors vous voyez l’environnement, sans référence, à partir de votre globalité, de votre totalité et là il n’y a plus de réaction, il y a seulement action. Il n’y a pas d’entité dans le cosmos. Il n’y a pas quelqu’un qui fonctionne. Il n’y a que fonction.

Y a-t-il des niveaux de globalité?
 
Il n’y a pas de niveaux dans la conscience.

Vous avez dit qu’il n’y a pas quelqu’un qui agit. Qu’est-ce qui nous fait penser que nous agissons?

Nous créons le penseur. Nous le projetons. Nous créons et nous projetons le monde à chaque instant. Nous le créons dès que nous le pensons. Le monde n’a jamais été créé. Nous le créons d’instant en instant.

Vous avez dit que nous ne sommes pas celui qui agit, mais nous sommes le créateur. Quelle est la différence?

Se considérer comme l’auteur de ses actes est une fiction du mental. Il n’y a personne qui agit. Rien ne se fait. Il n’y a que faire.
Dans l’absence d’un concept-je, il y a seulement création spontanée. C’est uniquement dans l’absence d’un vous-même qu'il peut y avoir spontanéité et créativité. Quand vous êtes libre d’intention, libre d’anticipation, libre de tout désir d’atteindre, libre de l’image-je, quand vous êtes libre du processus de devenir, libre de la mémoire psychologique, alors vous êtes vraiment dans le présent.
Toutes les activités viennent du présent et sont reliées à cette présence. Autrement, vous ne vivez jamais dans le présent, et vous allez du passé au futur, et du futur au passé.

Dans quelle mesure être libre du passé est-il une aide quand cela reste seulement une observation?

Voyez comment l’observation juste change les schémas dans votre corps-mental. Voyez l’effet que cela a sur vous d’être l’observation.
Quand vous pensez au passé, c’est le présent, c’est une pensée présente. Ainsi en réalité, il n’y a pas de passé psychologique. Il y a un passé chronologique, mais cela est un très petit pourcentage de ce que nous appelons le passé. Quatre-vingt-dix pour cent de ce que nous appelons le soi-disant passé est psychologique et pour cela fictif.
Le passé psychologique maintient uniquement le concept «Je» et le concept «Je» est entièrement créé par la mémoire. La plupart de notre soi-disant mémoire est psychologique et ne fait que maintenir la sécurité, la survie du moi.
Quand vous voyez vraiment que le «Je», le «moi», n’a pas d’existence en soi, que c’est une pensée, alors la mémoire psychologique est abandonnée.
L’acte de penser requiert une énergie colossale avec de nombreuses tensions pour maintenir le passé psychologique. Lorsque nous voyons que cela est seulement de la rêverie, nous l’abandonnons et il y a un soudain lâcher prise, une détente profonde qui nous amènent à un état d’ouverture. Libre de «l’image-je», libre de la mémoire psychologique, nous sommes ouverts à l’intelligence, à une pure mémoire fonctionnelle, une mémoire cosmique, une mémoire universelle.
Nous pouvons seulement connaître ce que nous ne sommes pas, nous ne pouvons jamais connaître ce que nous sommes, parce que nous sommes le connaisseur.
Voyez dans l’instant même, comment cette compréhension agit sur vous; que vous ne pouvez jamais la connaître, jamais la représenter; vous pouvez seulement l’être. Alors il y a un naturel, un inévitable lâcher prise. C’est une transformation d’énergie. Quelque chose se passe dans votre corps, dans les cellules de votre cerveau, et un moment vient où vous sentez que vous n’êtes rien, et vous vous sentez dans ce rien. Dans ce rien, il y a la plénitude.

Vous avez dit que le moment du réveil, le matin, est très important. Pourriez-vous dire pourquoi?

Constatez que le réveil appartient uniquement au corps. D’abord le corps se réveille, puis le monde, parce que le monde est composé seulement de perceptions sensorielles et de concepts. Alors, avant que le monde ne s’éveille, le corps doit être là. Mais avant que le corps ne se réveille, vous êtes. Vous êtes présence. Le réveil du corps, le réveil du monde, et la création du monde prennent place en vous, dans votre présence.
Dans le sommeil profond, il n’y a pas un sujet qui connaît. C’est un état sans témoin. En ce sens, le non-état est plus proche de notre vraie nature, que l’état de veille et l’état de rêve, qui supposent un sujet-connaissant. Ces trois états sont surimposés à la réalité, à la conscience.
 Avant de vous endormir le soir, abandonnez toutes vos qualifications, laissez se dissoudre tout ce qui est psychologique, tous les résidus des pensées, les problèmes, les tensions etc., de manière qu’il subsiste qu’une seule qualité, l’être sans aucune qualité. En d’autres termes, découvrez ce qui est impermanent en vous, et ce qui est permanent brillera. L’abandon de tout ce qui est impermanent, de tout ce que vous n’êtes pas est le même lâcher prise qu’au moment de mourir.


Quand vous mourez, vous devez, de toute façon, abandonner toutes vos qualifications. et les abandonner sciemment. Pourquoi attendre jusque là? Pourquoi ne pas mourir chaque soir? Ainsi vous voyez qu’il n’y a pas de mort. Quand vous mourez complètement le soir, vous allez vous trouver déjà présent le matin avant que le corps ne se réveille. C’est un moment très important. Parce qu’alors vous serez convaincu que l’arrière-plan de la conscience n’est jamais affecté par l’apparition des trois états.

Parfois le matin, quand mon esprit n’est pas complètement réveillé, de nombreuses idées créatives me viennent. Est-ce que vous parlez de ce même état?

Il existe un état de transition où la relation sujet/objet apparaît mais n’est pas fixée. C’est un état très créatif, le plus créatif pour l’artiste, parce que le mental est libre des schémas habituels de comportement.

Je voudrais ajouter quelque chose à propos du lâcher prise de toutes nos qualifications. Cela paraît facile, mais dans la pratique ça ne l’est pas.

Lâcher prise n’est pas un acte de volonté. Dans la volition, il y a encore quelqu’un qui lâche prise, l’acte est intentionnel. Mais lorsqu’il il y a une compréhension profonde, le lâcher prise est spontané. Quand je découvre que la clé n’est pas dans ma poche, automatiquement je renonce à l’y chercher.
Que la clé ne soit pas dans ma poche est juste un fait que j’accepte.

Quel est l’utilité du corps, alors ?

Le corps, comme votre intelligence, est un véhicule, et c’est aussi ridicule de vous identifier à ce véhicule que de vous identifier à votre voiture ou à votre maison. Trouvez vraiment ce que veut dire: «À quoi sert mon corps?» ou «Je ne suis pas le corps.» Avant de pouvoir le dire, demandez-vous d’abord: «Qu’est-ce que le corps?» Autrement, «Je ne suis pas le corps», reste une abstraction. Pratiquement parlant, prenez conscience de ce qu’est votre corps, comment il se présente à vous. Vous êtes le connaisseur du corps, aussi devenez conscient de toutes vos peurs, anxiétés, tensions, réactions, agressions etc.… dans le corps. Comment la peur, le désir, toutes sortes de tensions se manifestent-ils dans mon corps? Familiarisez-vous avec toutes les réactions, et les comportements compulsifs dans la vie de tous les jours. Connaître vos modes de fonctionnement est d’une importance vitale, non seulement en tant que concept, mais aussi dans les sensations de la vie de tous les jours. Dans chaque situation, avec votre femme, vos enfants ou votre voisin. C’est très important.

Est-il vrai que c’est à travers la prise de conscience du corps que je peux devenir conscient de: «Je ne suis pas le corps»?

C’est la seule voie. Soyez conscient de la manière dont vous fonctionnez. Lorsque vous ressentez la peur ou l’anxiété et avant de penser: «J’ai peur ou je suis anxieux», la sensation de peur est ressentie au niveau du corps. Quand vous pensez: «J’ai peur», vous n’êtes plus dans la peur parce que vous avez conceptualisé la perception. Dès que la perception est conceptualisée, c’est déjà la mémoire, et quand vous vivez dans la mémoire, vous ne pouvez pas agir sur la peur. Alors faites face à la peur dans sa réalité. Devenez conscient de sa localisation dans votre corps, dans votre estomac, dans la poitrine, dans le cou ou la mâchoire; alors vous êtes dans le présent.
En d’autres termes, abandonnez le concept «peur» parce qu’il appartient au passé, et faites face à la peur actuelle avant de la nommer. C’est du très grand art, que de faire face à la sensation sans la contrôler, sans la fuir, l’analyser ni la juger, mais tout simplement l’écouter. C’est dans cette écoute que vous parviendrez à comprendre que vous n’êtes pas le corps.

La dernière phrase me frappe. Pourriez-vous en dire plus? Est-ce que, comme vous le dites, c’est dans l’écoute que nous prenons conscience de ne pas être le corps?
 
Cela apparaît dans l’écoute. Dans l’écoute, il n’y a pas quelqu’un qui écoute. Ce n’est pas une fonction. L’écoute est la conscience où personne n’est conscient. L’écoute dont nous parlons est une écoute non conditionnée.

Est-ce que j’ai bien compris lorsque vous dites:«Pendant le déroulement de la journée, il y a des moments d’absence, mais ils sont perçus seulement après l’action?»

Il y a des moments dans la vie de tous les jours où il y a absence de toute activité. Mais généralement nous interprétons cette absence d’activité comme étant juste une absence d’activité. Nous ne la connaissons pas pour ce qu’elle est: présence ou réalité. C’est parce que nous identifions la conscience avec les objets et que nous ne connaissons pas la conscience sans objet. C’est comme une feuille de papier blanc sur laquelle vous écrivez. Quand vous fixez vos yeux seulement sur l’écriture, vous oubliez la feuille blanche. Mais la feuille blanche était là avant l’écriture. Le mental ne sait rien de cette absence de l’absence, parce qu’habituellement il fonctionne dans une relation de sujet à objet.


Mais il suffit que le mental soit informé qu’il y a quelque chose au-delà. Vous vous connaissez seulement dans six directions : en dessous, au-dessus, à droite, à gauche, devant, derrière. Puis quelqu’un vient vous dire : «Il y a une septième direction.» Le mental ne sait pas ce qu’elle est, mais une fois informé de son existence, il y est ouvert. En fait, la septième direction c’est le cœur, d’où partent toutes les directions. Il suffit d’y être ouvert.

En relation avec «être ouvert sans savoir ce à quoi nous sommes ouvert», pourriez-vous dire quelque chose sur ce que vous appelez attendre sans attendre?

Vous vous connaissez uniquement dans le connu. Lorsque parfois vous vous sentez dans le non-savoir, à cet instant il y a encore en vous, finalement, le désir ardent de savoir. Dans l’attente dont nous parlons, il n’y a rien à attendre, car il n’y a personne qui attend. Ainsi toute l’énergie excentrée s’apaise, et vous arrivez automatiquement à un état d’attente sans attendre quoi que ce soit. Attendre quelque chose appartient au mental. Mais l’attente libre de l’attente de quelque chose n’appartient pas au mental. Cela appartient à notre éternité. Et maintenant je vais vous révéler un profond secret. Dans cette attente sans attendre vous allez découvrir que vous êtes ce que vous attendez. L’attente est elle-même la réponse.

Est-ce que la relation sujet/objet a une utilité quelconque?

Les relations sujet/objet se situent au niveau du mental. Le mental fonctionne dans une relation de sujet/objet, mais le mental n’est qu’une fraction de notre fonctionnement.
C’est l’un des organes des sens. Quand vous percevez une fleur, c’est à travers les cinq sens que vous la voyez, le mental alors n’est pas encore intervenu. Dans le fonctionnement des cinq sens, il n’y a ni sujet, ni objet. Cela vient plus tard, quand la perception laisse la place au concept. Alors vous dites : «Je vois la fleur, c’est une rose,» ou : «Elle sent bon.» Avant ces qualifications, vous et la fleur ne faites qu’un dans l’acte de pure perception. Il n’y a que voir; quand vous écoutez un oiseau, il n’y a qu’écouter. Avant de qualifier la situation, il n’y a personne qui écoute et rien n’est écouté, il y a seulement l’écoute. Quand plus tard vous pensez : «J’écoute l’oiseau,» ou «Je vois la fleur,» vous n’êtes plus un avec la vision. Vous avez conceptualisé l’acte de voir, et vous ne voyez plus la fleur véritable, mais vous vivez dans le concept du nom fleur. Le sucre n’est pas sucré. Une pomme n’est pas la pomme. Vous me suivez?
Ainsi, au niveau du mental, il y a des relations d’un sujet à un autre objet, mais dans votre totalité, votre plénitude, il y a seulement voir, goûter, sentir, toucher, entendre. La conscience et son objet sont un.

Qu’est-ce que l’amour? Quelle est la relation entre amour et être?

Amour et être ne sont pas en relation. Les relations existent seulement d’un objet à un autre objet. Nous ne pouvons pas dire ce qu’est l’amour dans notre relation avec une fleur, parce que l’amour n’est pas un objet. Vous êtes l’amour. Et lorsque vous êtes vraiment l’amour, vous ne pouvez plus jamais ne pas voir l’amour; toute chose est amour. Quand vous êtes amour, vous voyez toujours l’amour. Il se peut que vous soyez loin de votre amant, vous le visualisez: son intelligence, ses beaux yeux, sa sensibilité et bien d’autres choses. Mais vient un moment où après avoir passé en revue toutes ces qualités, ne subsiste qu’un  sentiment d’amour.
Il n’y a plus de représentation. Mais quand vous dites: «Je l’aime», vous avez de nouveau objectivé l’amour.
La véritable compréhension n’est pas seulement au niveau du mental. La compréhension doit être aussi au niveau du corps psychosomatique. Cela veut dire qu’elle doit avoir du temps pour se maintenir, pour s’intégrer dans le corps. Et, comme il y a une mémoire biologique, une mémoire corporelle de ce que le corps est fondamentalement, nous devrions être continuellement dans un état de détente, dans un état de réceptivité de notre corps originel.
L’enfant dans le ventre de sa mère s’approprie le monde, cela est normal. Il devient conscient de son environnement immédiat : la température, le battement
 du cœur, les liquides etc. Une fois qu’il quitte le corps de sa mère, l’enfant
avec empressement s’approprie l’environnement extérieur avec une sorte d’avidité,
de préhensivité biologique. C’est une étape naturelle dans la vie de l’être humain,
une transition. Puis vient  la compréhension profonde qu’il n’y  plus rien à prendre. Néanmoins, nos facultés de perception, les yeux, les oreilles etc., restent généralement dans cet état infantile de saisir, de s’approprier.
Quand nous parlons du corps étant dans le perçu, dans l’état de recevoir, nous voulons dire qu’il y a sciemment un lâcher prise de toutes les tensions; des yeux, des oreilles, de tous les organes des sens, et particulièrement du cerveau. Le cerveau est aussi un organe des sens que nous pouvons sentir et détendre. C’est important d’arriver à un état de relaxation du cerveau. D’où, quand nous avons quelque chose à penser, nous
pensons, et quand il n’y a aucun besoin de penser, nous ne pensons pas.

Pourriez-vous parler un peu de la relation mère- enfant?

Vivre avec l’idée d’être une mère, c’est vivre d’une manière fractionnelle.
Se prendre pour une mère amène à prendre son enfant pour un enfant, et cette
relation est fractionnelle. Parce que l’idée d’être une mère empêche la non-relation
absolue. Quand vous êtes libre du concept «mère», vous êtes vraiment une
mère. Alors quand les circonstances vous demandent d’être une mère, quand
l’enfant  vous demande d’être une mère, vous êtes sa mère.
Mais ne vivez pas avec le besoin de materner. Vous n’êtes rien, et dans cette
vacuité la mère apparaît et disparaît. Alors il y a un courant d’amour.

Être une mère est un acte biologique, comme celui d’être un père. Définir un objet avec la mémoire, comme une table, un arbre ou un lion, est aussi un comportement biologique. Dans le monde la survie de cette biologie est essentielle. Nous devons la transcender pour retrouver notre liberté.
Que pouvez-vous dire à propos de ce fait?

Le problème n’est pas la biologie mais la psychologie. Vous prendre pour un père, une mère, un avocat ou un homme d’affaires est une manière de vivre fractionnelle. Vous agissez alors selon certains clichés. Quand vous êtes établi dans votre totalité, le père ou la mère apparaît dans cette totalité. De la même manière, la conceptualisation, la mémoire sont des outils essentiels de notre cerveau. Mais le problème, c’est de vivre dans la mémoire.

En Inde, il y a une tradition qui dit que l’idéal pour une personne serait de traverser les quatre étapes de l’existence; brahmacharia (étudiant), garhasthya (chef de famille), vanaprastha (habitant de la forêt) et de sannyasa (renonçant) Que pensez-vous de cette tradition?

Ces étapes appartiennent à la voie progressive et n’ont rien à voir avec l’approche directe. Penser de cette façon vous empêche de trouver ce que vous cherchez vraiment; être libre de tous les états et des étapes.

Pourriez-vous nous parler de la foi?

Quand vous êtes vraiment tranquille, tranquille veut dire dans le non-savoir. C’est vraiment un état béni.

Comment puis-je atteindre cet état béni de non-savoir rapidement?

Vous ne pouvez jamais l’atteindre. En cherchant à l’atteindre, vous vous en éloignez. Cette compréhension est tout ce dont vous avez besoin pour arriver au non-savoir. Vivez dans ce non-savoir.

Quand vous vivez dans la compréhension, quelle est votre motivation pour agir?

Quand l’action ne découle plus du point de vue de celui qui agit, alors il n’y a que l’action, l’action spontanée. Mais avant d’arriver à cette action spontanée, nous devons être libres de celui qui agit. Autrement, il y a seulement une réaction. Aussi devons-nous regarder sans nommer, sans interpréter, simplement regarder, entendre, sentir, toucher, goûter. C’est la situation qui agit en nous. L’action se produit selon les faits de la situation, laquelle est seulement vue lorsqu’il n’y a pas d’interférence du concept-je, d’un moi. Dans ce regard, nous sommes libres de tout bagage. C’est très confortable!

Il y a un problème de traduction car, en grec moderne, il n’y a pas d’équivalent pour dire: «voir, entendre, sentir.»

Comment nommez-vous le fonctionnement des sens?

De multiples façons; pas avec un mot. Mais je pense que le sens en a été donné, parce que nous utilisons des mots du grec ancien. La question que je voulais poser est de savoir si la langue en elle-même, comme cet exemple concret le montre, est un facteur restrictif?

Dans une certaine mesure, nous sommes conditionnés par le langage, c’est évident, mais quand vous êtes créatif, vous pouvez trouver l’équivalent. Cependant nous devons nous libérer du langage. Nous devons créer un nouveau langage.

Quand vous dites: «Il n’y a pas quelqu’un qui voit, rien n’est vu, il n’y a que voir» c’est difficile à traduire. Il n’y a pas d’équivalent acceptable en grec moderne. Mais, comme vous l’avez dit, il serait intéressant de créer un nouveau langage.

Quelqu’un voit, quelque chose est vu. Quelque chose qui est vu est un événement. Quel est le mot en grec pour dire «événement?» Dans un événement, il n’y a pas « quelqu’un » qui fait l’événement, il y a seulement l’événement. Je suis sûr que vous allez trouver.

D’où vient la pensée?

Quand penser vient de la pensée elle-même, c’est une défense, c’est une agression. Mais quand une pensée vient du silence, alors je dirais que c’est une offrande. C’est un remerciement. Un remerciement qu’il soit permis d’être.


 



Haut de page